« AU DELA DE
CETTE LIMITE »
J’entends un léger crissement. Un glissement furtif sur la moquette (…)
Ma main cherchait l’interrupteur. J’allumai.
Ce fut instantané.
Un bond et l’homme appuyait déjà la pointe du couteau contre ma gorge. Il
portait la casquette et l’uniforme du chauffeur de maître (…) Il était prêt à
tuer. Il m’eût suffi d’esquisser un mouvement un peu brusque pour que tout fût
fini et pour que me fussent épargnées la lâcheté, l’acceptation et
l’accoutumance. Mais je ne bougeais pas. Je voulais prolonger ce moment, faire
durer cette possibilité de délivrance, goûter encore cette délivrance de tout
poids (…)
Je levai la main,
la refermai sur la lame du couteau et l’écartait de ma gorge. Il y eut sur ses
traits une expression de désarroi, une trace de lutte intérieure et de peur (…)
Il devait
maintenant ou bien m’égorger ou abandonner toute prétention à l’envergure et
avouer sa minable dimension de petit voleur : c’est ce qu’il fit. Il
brandit le couteau en l’air d’un air (sic[1]) de menace vaine, saisit ma montre en or sur
la table de chevet et se mit à reculer vers la porte.
« Prenez l’escalier
de service à gauche en sortant » dis-je...
Cette intrication entre la condition physique, le sentiment personnel et
la vie sociale et historique est constante dans le roman. On peut la résumer
par un bref passage du début.
P. 23 « En 1944 je débarquais
en Normandie à Omaha Beach sous les mitrailleuses, je libérais Paris. Vous,
vous étiez un héros de la Résistance, colonel à vingt-six ans dans le maquis et
maintenant on ne peut plus bander. »
- Ce n’est pas une
partenaire, c’est une femme que j’aime… »
Cela va parfois jusqu’à la provocation pure et simple accompagnées d’un effet de style dont on peut se demander s’il est voulu.
Sincèrement, sans doute, l’auteur considérait que dans cet ouvrage, le
sexe n’était évoqué que comme prétexte[3]. En
ce cas, l’œuvre dépasse l’intention qui a présidé à sa réalisation. La dérive
du style prend parfois un effet rabelaisien avec des énumérations qui seraient
dignes d’un bon San-Antonio. Qu’on en juge :
PP 63-64 « Muller était un
gros homme aux cheveux blancs et aux cigares bienveillants ; il me parla
pendant tout le parcours des cassoulettes au petits mignons de Viard, du canard
Trissotin de Bagot et du capon blanc-bec dans son jus (…) Sur le chemin du
retour (…) Elle s’appuya contre mon épaule et demanda :
- Jacques, quand
est-ce que tu te décideras enfin à me faire faire un tour de France gastronomique ?
(…) Je ne suis pas encore mûr pour les consolations de l’Eglise lui lançai-je
entre les dents. Ni pour le chaponnet à la mignonne, ni pour la fricasse du
jacasse du père Viouque, ni pour la mouchette sur sa clavicule, ni pour la
grand-mère farcie sauce tzigane, ni pour la bibichette à la feuille de rose, ni
pour la bite de turc aux câpres, ni pour la culotte du zouave maison, ni pour
les mignardises de tonton Vercingétorix ni…. merde.»
Pour ce qui concerne l’intrigue, on peut, ou non accorder de l’importance
à cette histoire de revente de multinationale intriquée avec celle d’un amour
qui serait parfait sans les problèmes techniques. On peut juger un peu fade le
personnage de Laura, dame des pensées du personnage principal qui, d’une
certaine manière, crève seul l’écran. En bon faiseur d’histoires, Gary prépare
longuement sa fin et ménage une chute surprenante, mais ce n’est pas la plus
important.
[1]
Force est de constater que l’écriture brille plus par le souffle général que
par la maîtrise des détails stylistiques.
[2]
On peut rappeler ici que Gary était compagnon de la libération et chevalier de
la légion d’honneur.
[3]
Rien ne permet en outre d’affirmer qu’il fasse référence à l’évolution de sa
propre vie sexuelle…
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