Francis Ponge, "La fabrique du pré", 1971.

Francis Ponge, "La fabrique du pré", 1971.
Francis Ponge, "La fabrique du pré", Skira 1971.

Nous avons le plaisir de vous inviter au prochain Café littéraire, qui se tiendra à l'Épicerie du Pré, rue du Pré au Mans, de 18:30 heures à 20 heures environ. L’objectif étant pour nous de promouvoir et d'échanger autour d'une littérature contemporaine ou classique de qualité, « lettrée », en se garant des titres et des auteurs trop commerciaux.

Nous nous retrouverons le jeudi ....... autour

d'œuvres d'écrivains ..........

Nous comptons sur votre présence, en apportant ou non des textes ou des extraits d'œuvres des auteurs retenus.
Chacun est libre de lire ou non un texte qu'il aura pris soin d'apporter, un extrait d'œuvre, de participer au débat s'il le désire.

Merci de relayer la proposition de cette rencontre aux personnes que vous jugeriez susceptibles d'être intéressées.

À bientôt, Armelle Le Dantec & Alain (Georges) Leduc.


Bien entendu, l'accès à ces rencontres littéraires ne saurait être que parfaitement gratuit.







samedi 16 avril 2016

Olivier Rubens a bien voulu nous communiquer sa participation au Café littéraire consacré à Romain Gary. Nous l'en remercions chaleureusement.


 
« AU DELA DE CETTE LIMITE »

 Au milieu de ce livre publié en 1975, année de la mort de Malraux se trouve une scène qui rappelle le début de « La condition humaine ». Le héros et sa compagne dorment dans une chambre d’hôtel.

 J’entends un léger crissement. Un glissement furtif sur la moquette (…) Ma main cherchait l’interrupteur. J’allumai.

Ce fut instantané. Un bond et l’homme appuyait déjà la pointe du couteau contre ma gorge. Il portait la casquette et l’uniforme du chauffeur de maître (…) Il était prêt à tuer. Il m’eût suffi d’esquisser un mouvement un peu brusque pour que tout fût fini et pour que me fussent épargnées la lâcheté, l’acceptation et l’accoutumance. Mais je ne bougeais pas. Je voulais prolonger ce moment, faire durer cette possibilité de délivrance, goûter encore cette délivrance de tout poids (…)

 Il y eut sur son visage une trace d’inquiétude parce que je souriais. C’est peut-être la première fois depuis bien longtemps que mon sourire disait vrai, qu’il parlait vraiment en mon nom au lieu de me cacher. La pointe de la lame s’appuya un peu plus fortement sur mon cou. Il ne l’avait pas appuyée au milieu mais contre la carotide. Il connaissait les bons endroits.

 Je ne me souvenais pas d’avoir goûté une telle sensation d’être redevenu moi-même depuis que je m’étais réfugié dans l’ironie. Je guettai ma respiration. Pas trace d’émoi quelconque. Somme toute, je n’avais pas tellement changé. Pour l’essentiel, j’étais encore le même qu’au temps des allemands. Arabe, pensais-je. Mais la pointe du couteau posée au point précis de la saignée à mort fit passer en un éclair dans ma mémoire le ciel d’Andalousie et la mort d’un taureau sous l’épée de Juan Belmonte (…) J’étais bien. J’étais chez moi (…) Il me fallait mettre fin à ce délicieux souvenir de moi-même. Le couteau contre ma gorge n’était pas celui d’un parachutiste allemand opérant derrière nos lignes mais d’un rat d’hôtel qui n’osait ni tuer ni s’écarter car la sonnette était à la portée de ma main et il m’eut suffi d’une seconde pour ameuter le service d’étage (…)

Je levai la main, la refermai sur la lame du couteau et l’écartait de ma gorge. Il y eut sur ses traits une expression de désarroi, une trace de lutte intérieure et de peur (…)

Il devait maintenant ou bien m’égorger ou abandonner toute prétention à l’envergure et avouer sa minable dimension de petit voleur : c’est ce qu’il fit. Il brandit le couteau en l’air d’un air (sic[1]) de menace vaine, saisit ma montre en or sur la table de chevet et se mit à reculer vers la porte.

« Prenez l’escalier de service à gauche en sortant » dis-je...

 On trouve dans cette scène une dimension d’ordalie assez constante chez Gary qui a un côté « seigneur de la guerre », à la Montherlant. Cette dimension est suffisamment forte pour déboucher sur un retournement dialectique, le plaisir éprouvé par le héros menacé retourne le sens de la menace et crée un rapport de domination avec l’homme au couteau. Ce dernier sera retrouvé ensuite et utilisé pour de basses manœuvres. Tout ceci dans un contexte d’ « anarchisme de droite » où la question de l’ordre établi, de la sécurité des biens etc… n’est même pas posée[2]. On n’est pas très loin, meurtre en moins, de la scène des « Caves du Vatican » où l’antihéros gidien balance un compagnon de voyage du haut d’un viaduc pour le seul plaisir. Enfin, le rapport social entre les personnages est bien perçu. Le bourgeois possédant et « souchien » comme disent aujourd’hui par exemple les « indigènes de la République et comme on ne disait pas à l’époque l’emporte sans difficulté sur l’immigré, même armé.

Cette intrication entre la condition physique, le sentiment personnel et la vie sociale et historique est constante dans le roman. On peut la résumer par un bref passage du début.

P. 23 « En 1944 je débarquais en Normandie à Omaha Beach sous les mitrailleuses, je libérais Paris. Vous, vous étiez un héros de la Résistance, colonel à vingt-six ans dans le maquis et maintenant  on ne peut plus bander. »

 Gary expose comme constante le refus de la réification, cette tendance de l’individu à nier sa propre humanité pour appréhender son corps et son esprit comme des machines, certes extraordinairement sophistiquées :

 P. 56 : « Je ne vous apprends rien lorsque je vous dis qu’il y a des castratrices qui veulent vous vider de vos forces. Les femmes ne comprennent absolument rien à la verge. Elles croient que c’est une sorte de machine-outil automatique et qu’on peut régler ça comme on veut. Vous ne verrez jamais une femme se soucier de votre prostate » (....) «  Vous avez la malchance d’avoir une sexualité anormale pour votre âge, excessive, avec des organes qui sont eux normaux, et qui font les frais de votre libido. Combien de temps dure en moyenne chaque rapport avec votre partenaire actuelle ?

- Ce n’est pas une partenaire, c’est une femme que j’aime… »

Cela va parfois jusqu’à la provocation pure et simple accompagnées d’un effet de style dont on peut se demander s’il est voulu.

 P. 119  «  Pauvre chère doulce France ! A cinquante, cinquante-cinq ans, vous arrivez à une situation où vous pouvez vous procurer facilement des filles très jeunes – c’est pour ça d’ailleurs que l’on a abaissé la majorité à 18 ans – et vous bandez mou à la suite des efforts que vous avez fait dans votre branche ».

Sincèrement, sans doute, l’auteur considérait que dans cet ouvrage, le sexe n’était évoqué que comme prétexte[3]. En ce cas, l’œuvre dépasse l’intention qui a présidé à sa réalisation. La dérive du style prend parfois un effet rabelaisien avec des énumérations qui seraient dignes d’un bon San-Antonio. Qu’on en juge :

 ( Accompagné de sa jeune maîtresse, le héros raccompagne une relation d’affaires à l’aéroport.)

PP 63-64 « Muller était un gros homme aux cheveux blancs et aux cigares bienveillants ; il me parla pendant tout le parcours des cassoulettes au petits mignons de Viard, du canard Trissotin de Bagot et du capon blanc-bec dans son jus (…) Sur le chemin du retour (…) Elle s’appuya contre mon épaule et demanda :

- Jacques, quand est-ce que tu te décideras enfin à me faire faire un tour de France gastronomique ? (…) Je ne suis pas encore mûr pour les consolations de l’Eglise lui lançai-je entre les dents. Ni pour le chaponnet à la mignonne, ni pour la fricasse du jacasse du père Viouque, ni pour la mouchette sur sa clavicule, ni pour la grand-mère farcie sauce tzigane, ni pour la bibichette à la feuille de rose, ni pour la bite de turc aux câpres, ni pour la culotte du zouave maison, ni pour les mignardises de tonton Vercingétorix ni…. merde.»

Pour ce qui concerne l’intrigue, on peut, ou non accorder de l’importance à cette histoire de revente de multinationale intriquée avec celle d’un amour qui serait parfait sans les problèmes techniques. On peut juger un peu fade le personnage de Laura, dame des pensées du personnage principal qui, d’une certaine manière, crève seul l’écran. En bon faiseur d’histoires, Gary prépare longuement sa fin et ménage une chute surprenante, mais ce n’est pas la plus important.




[1] Force est de constater que l’écriture brille plus par le souffle général que par la maîtrise des détails stylistiques.
[2] On peut rappeler ici que Gary était compagnon de la libération et chevalier de la légion d’honneur.
[3] Rien ne permet en outre d’affirmer qu’il fasse référence à l’évolution de sa propre vie sexuelle…

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